vendredi 21 septembre 2012

Le mémoire final

Vous pouvez désormais consulter mon mémoire de recherche de master 1, sur l'accessibilité du théâtre aux personnes malentendantes et sourdes. Il a été réalisé dans le cadre de la discipline de l'information-communication et reçu avec les félicitations du jury. 



lundi 9 juillet 2012

Rester sourd : article de Rue 89

 
 Rue89
 
Tribune 09/07/2012 à 15h29

Pourquoi les sourds veulent-ils rester sourds ?

Frederic de Antibes | Riverain



Un garçon de dos (Josh Pesavento/Flickr/CC)
Quand j’étais entendant, je ne comprenais pas ces sourds qui voulaient rester sourds. Ils étaient idiots, pensais-je. Pourquoi les sourds refusent-ils l’implant cochléaire, présenté par le corps médical comme la solution miracle ? Autrement dit, pourquoi refusent-ils de se soigner ?
Devenu sourd, je vais tenter de vous l’expliquer. Ce papier était à la base destiné à des amis, car lassés d’expliquer, je voulais poser une fois pour toutes le raisonnement. Cela n’engage que mon raisonnement et ma vision.

Les traitements de la surdité

La surdité (ou mal-audition) est un trouble de la perception auditive. Si elle ne limite pas les gestes quotidiens, elle est ressentie comme socialement très handicapante. Pour la compenser, il existe cinq solutions principales :
  • les appareils auditifs ou prothèse auditive, dont l’ancêtre est le sonotone ;
  • les implants : on vient poser un boîtier sur le nerf auditif de la personne, une partie sur le crâne se charge de la transmission ;
  • la lecture labiale, que tout le monde pratique plus ou moins. Elle vient en complémentarité d’une autre solution ;
  • la Langue des signes française (LSF), qui répond à toutes les demandes d’une langue (c’est une des raisons pour laquelle on dit que c’est une langue et pas un langage !) ;
  • Le Langage parlé complété (LPC ) qui sert à l’acquisition de l’oralisation et à l’apprentissage du français.
Les appareils auditifs compensent des pertes auditives de légères à profondes. A un certain moment, quand les appareils auditifs ne parviennent plus dégager suffisamment de décibels (les plus puissants montent à 146 décibels), l’audition est perdue.
D’après les ORL, on devrait passer à des implants quand l’apport des appareils auditifs n’est pas satisfaisant. Les règles de pose des implants sont actuellement en train de s’élargir : on voit maintenant des sourds de 50 ans se faire implanter (le nerf auditif n’est pas dans un superbe état).

L’implant n’est pas un miracle

Au final, les sourds veulent donc rester sourds ? Oui et non.
Pour me faire comprendre, je vous donne une analogie. On propose à quelqu’un en fauteuil, capable de faire quatre pas seul, de se faire opérer. On lui explique qu’il a une chance sur deux pour que l’opération loupe :
  • l’opération est un raté ;
Il ne pourra plus faire les quatre pas (perte du reste auditif).
  • l’opération est une réussite.
Dès qu’il y aura du vent (du bruit), il pourra plus marcher et tombera. Si la montée est trop forte (si les gens ne parlent pas de façon claire), il tombera. Il ne courra jamais de sa vie (l’implant ne donne pas une audition parfaite), il marchera juste comme un vieillard. De plus, si notre handicapé tombe malade, l’IRM ne voudra pas de lui – c’est interdit pour les personnes portant un implant.
La personne dans son fauteuil roulant ne vit pas si mal, elle a des amis et a trouvé des solutions pour vivre sa vie pleinement. A sa place, que feriez-vous ?

Le discours médical : « Aucun risque »

L’utilisation d’implant ne rend pas une oreille neuve, il faut faire énormément de travail avec les orthophonistes pour identifier le son qui est perçu. Le traitement que fait subir l’implant est lourd, non naturel, il faut apprendre à l’identifier. Le son est distordu.
Le problème est que le discours tenu par le corps médical n’est pas tout à fait le même : « Avec des implants, on entend comme avant, aucun risque, aucun problème. » Le coût (45 000 euros, comprenant l’implant, l’opération et la rééducation) peut être une explication à la volonté des laboratoires d’implanter plus largement la population.

La surdité ne se guérit pas, elle s’atténue

Devant des parents démunis qui découvrent que leur enfant est sourd et qui ne comprennent pas ce qu’est la surdité, un médecin est celui qui sait. Le choix des parents est-il éclairé ? Ont-ils toutes les cartes en main ? Les associations de sourd considèrent que non. On peut et on vit très bien sans appareil en étant sourd.
Il n’est pas dit que la surdité n’est pas handicapante et qu’à ce titre, elle n’est pas blessante ou humiliante, mais elle n’est pas perçue comme une maladie que l’on doit soigner. Là est, à mon avis, l’erreur du corps médical : on ne soigne pas une surdité, on la limite ou on la réduit.
Un enfant sourd ou malentendant restera avec des troubles auditifs toute sa vie, l’accepter le plus tôt ne pourra être que plus bénéfique.

Apprivoiser la surdité plutôt que la soigner

Une autre solution consiste à utiliser la LSF. C’est une langue nationale (régionale sur certains abords), reconnue comme tel. Elle a le mérite de donner à des personnes ayant des troubles de l’audition un cadre sans handicap, confortable. L’utilisation d’une langue visuelle permet à quiconque ayant des troubles auditifs de communiquer sans contrainte et sans effort.
Sa maîtrise demande un investissement financier et de temps mais l’apport dans la fluidité des relations peut être manifeste. C’est toute la famille qui doit basculer dans la LSF pour qu’elle soit utilisable par l’enfant sourd. L’investissement est donc lourd. C’est une solution actuellement sous-évaluée, et niée malgré la loi d’accessibilité de 2005 qui oblige les administrations à pouvoir être accessible dans cette langue.
Les choses vont-elles changer ? Avec le dépistage systématique de la surdité, les parents n’auront quasiment plus le choix. Désemparés, ils se retrouveront devant un médecin prescripteur d’une solution qui, pour lui, est la meilleure : l’implant.

samedi 2 juin 2012

La culture sourde : le refus d'être acculturé

    Aujourd'hui, je réalise un petit écart sociologique qui me semble important pour tenter de donner un élément de réponse à l'une des questions évoquées précédemment : 

    Pourquoi rendre accessible le théâtre aux déficients auditifs ?
Nous avions tout d'abord émis l'hypothèse du principe d'universalité avec en visée, la non-discrimination. Nous avions aussi noté le risque de nier la qualité de la différence, potentiellement créatrice (Charles Gardou).

    La culture sourde est décrite par Yves Delaporte, ethnologue et directeur de recherche au CNRS dans l'extrait La culture sourde.
Il définit d'abord la notion de culture : " L’ethnologie appelle « culture » tout ensemble d’écarts significatifs présenté par un groupe humain, et offrant une cohérence interne. Le concept de culture n’implique nullement une stabilité dans le temps : toutes les cultures évoluent. Il n’implique non plus que tous les traits d’une culture soient spécifiques : aucune ne pourrait répondre à une telle exigence. Il n’implique pas davantage une situation d’isolement : toutes les cultures font des emprunts aux groupes voisins. Ainsi tombent d’eux-mêmes la plupart des reproches qui sont faits à la notion de culture sourde. Ceux qui la pourfendent font simplement un contresens sur le contenu du concept de culture, dont ils se font une image figée et dogmatique."

Y. Delaporte étudie la pensée sourde à partir de la conception émique, c'est à dire celle des membres des groupes étudiés, ici, les déficients auditifs qui distinguent les traits différentiels entre sourds et entendants par l'expression "sourds typiques". La culture sourde se définit par l'ensemble de tout ses traits "sourds typiques". 

Il constate que "chaque langue découpe le monde à sa manière : la langue des signes française n’est pas un transcodage du français, elle en est même fort éloignée, et c’est bien pour cela que l’opération de traduction est toujours délicate. Qui dit langue dit vision du monde spécifique, et donc nécessairement culture." D'ailleurs, j'ai pu aussi faire ce constat lorsque j'ai dû retranscrire les témoignages reçus par mails des déficients auditifs qui s'exprimaient au sujet du théâtre, car les mails présentaient une grande quantité de fautes d'orthographe et de syntaxe. Leur langue dominante est la LSF pour la plupart et non le français, comme ceci a déjà été évoqué avec l'artiste Christine Sun Kim.

L’ethnologue note ainsi que que la culture sourde possède son propre humour, il ne s'agit pas de mime et n'est pas du tout compréhensible de celui qui ne connait pas la culture sourde. Il évoque aussi la manière de se présenter dans la culture sourde : chaque individu est défini par un système de nom qui l'identifie très spécifiquement, par un trait de caractère, un trait physique... et qui désigne entièrement l'individu, une originalité propre à la culture sourde. Y. Delaporte souligne aussi que "les relations sociales sont marquées par une forte ritualisation" avec des codes précis lors des repas notamment au niveau de l'attribution des places des convives selon leur sexe. Par ailleurs, il indique que les comportements au sein des réseaux de sociabilités se révèlent très proches de ceux qui sont créés dans une cellule familiale. 

L'extrait se conclut sur l'idée que la culture sourde est un mouvement identitaire qui évolue depuis 20 ans et qui n'exclut pas la culture majoritaire entendante. Il entrevoit une évolution positive, grâce à la nouvelle génération et aux études supérieures, du malentendu culturel qui existe entre sourds et entendants vers un biculturalisme.

Terminons sur cette vidéo avec les interviews de Marguerite Blais (évoquée dans ma revue de la littérature) et de Charles Gaucher, au sujet de la culture sourde. Marguerite Blais y évoque les sourds qui ne perçoivent pas les devenus sourds comme de "vrais sourds". Parce qu'ils ont déjà entendu, ces derniers ont pour les sourds, une culture davantage orientée vers la culture entendante. Les sourds profonds seraient aussi plus amenés à se rapprocher de la culture entendante alors que les malentendants gestuels percevraient leur culture comme étant plutôt la culture sourde car "ils se reconnaissent par leur langue et leur culture au détriment de ce que nous, entendants, appelons un "handicap", ils ne se voient pas comme des personnes handicapées". Elle évoque aussi cette entendante qui regarde la télévision sans le son et qui répond à la question "alors es-tu entendante ou sourde? c'est évident que je suis sourde", qui est beaucoup plus heureuse dans le monde des sourds. Elle souligne également le fait que les sourds ont plusieurs langues et que les sourds gestuels souhaitent aussi que leur langue soit reconnue car la langue est au cœur de l'identité d'un être humain. Charles Gaucher évoque par ailleurs, l'idée que l'identité sourde induit l'appartenance des sourds à une communauté d'intérêts et un univers symbolique qui fait référence à tous les traits différentiels que l'on évoquait précédemment.

La culture sourde
Interviews de Marguerite Blais et Charles Gaucher

Revenons à notre question : " Pourquoi rendre le théâtre accessible aux déficients auditifs ?
A la lumière de ces nouvelles informations, il est important de constater la complexité du sujet. 
Il faut donc rappeler :
  • Le rôle de la médiation culturelle et notamment dicté par la législation
  • Les différents types de surdité : sourds, malentendants, devenus sourds
  • Les différentes appartenances culturelles : culture sourde, culture entendante 
  • Le fait que la médiation culturelle ne peut pas s'adapter à tous les publics ( Elizabeth Caillet, je l'évoquais dans ma revue de la littérature)
Comment produire une médiation culturelle qui permette de rendre le théâtre accessible aux déficients auditifs, ayant une culture orientée pour certains davantage vers la culture sourde et pour d'autres vers la culture entendante ?

Une réponse possible : 
  • Un accès du théâtre des entendants via les moyens de médiations culturels humains et matériels (à recenser et noter les mises au point à effectuer en 2012)
  • Un théâtre pour les sourds de type Virtual Visual. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un théâtre pour les sourds, il est accessible aux entendants, mais notre enquête exploratoire a révélé que les sourds étaient peut-être plus sensibilisés au caractère visuel que les entendants (compensation naturelle?)



jeudi 31 mai 2012

Bilan de l'enquête exploratoire : vers la problématique


L'objectif de l'enquête exploratoire était de mener à la définition de la problématique. Je vais ici d'abord regrouper un certain nombre d'interrogations issues de cette enquête en trois parties, et en particulier des témoignages de déficients auditifs contactés par mail afin de rendre compte de leur rapport au théâtre. 

    Les déficients auditifs qui ont témoigné lors de cette enquête exploratoire ont entre 40 et 50 ans et sont à 80% sourds ou sourds profonds. Il ressort de ces témoignages que le théâtre est très difficilement accessible aux déficients auditifs. Il est difficile de lire sur les lèvres des comédiens et la boucle magnétique semble nécessiter quelques mises au point afin d'éviter les difficultés des appareils auditifs à capter ses ondes. On note aussi que le choix des œuvres théâtrales accessibles aux sourds est encore très mince. Il s'agit là d'insuffisances dans la variété des œuvres proposées et de fréquence des représentations. Le rapport au théâtre peut s'effectuer par le biais de la télévision, avec des diffusions d’œuvres qui ne comportent souvent aucun sous-titrage. Une compensation naturelle, par la vue, s'opère alors. Le spectateur déficient auditif observe les décors, les costumes et les mouvements des comédiens. Le déficient auditif peut être sensibilisé en amont à l’œuvre théâtrale, par la lecture de sa version écrite, ce qui permet de favoriser la compréhension de l’œuvre théâtrale jouée sur scène.

 Au terme de ce recensement de témoignages de déficients auditifs exprimant leur rapport au théâtre, quelques questions se posent : 
  • Le problème de la boucle magnétique est-il dû a un système qui demande encore quelques améliorations, est-ce un problème technique? Ou bien, ce problème est-il lié à un manque de conseil des médiateurs culturels (dans le théâtre, avant la représentation) ? L'un ou l'autre problème peut-il être résolu et de quelle manière ?
    Rappelons ici les interrogations de l'enquête exploratoire précédentes et qui rejoignent les plus récentes :
     ~ Ces moyens de compensation ( boucle magnétique, tablette électronique) ne nuisent-ils pas davantage à l'audibilité de l’œuvre théâtrale ?
     ~ Les nouvelles technologies sont-elles accessibles à tous les spectateurs déficients auditifs : âge, niveau socio-culturel...?
     ~ L'accompagnement humain dans la mise en accessibilité matérielle est-il suffisant? 
 
  • Le choix des œuvres théâtrales est-il réellement faible ou est-ce une carence en communication qui induit un manque d'information à ce propos ?
  • Existe-t-il un théâtre qui favoriserait la compensation par la vue ? Je pense au Virtual Visual, est-ce réellement rendre accessible le théâtre aux déficients auditifs? Rappelons que la vocation de ce type de théâtre est d'être accessible à tous et pas seulement aux déficients auditifs. Rappelons aussi qu'un des acteurs, déficient auditif avait expliqué que les sourds avaient ça en eux, cette sensibilité à l'image et qu'ils mettaient alors de côté la LSF pour retrouver cette part visuelle en eux. Le théâtre "traditionnel", "classique", est-il donc vraiment accessible ? N'est-ce pas là encore un "fantasme d'entendant" ? La volonté des politiques en place de rendre accessible la culture au plus grand nombre concerne-t-elle le théâtre et j'entends par là, est-ce réalisable ? La volonté d'accessibilité des politiques culturelles n'est-elle pas trop utopique ? La théorie peut-elle s'épanouir sur le terrain ?
  • Comment au moins, rendre au mieux le théâtre accessible aux déficients auditifs ? 


lundi 21 mai 2012

Enquête exploratoire 3/3 : le rapport des déficients auditifs au théâtre, témoignages.

     Afin de clore mon enquête exploratoire, j'ai envoyé un questionnaire à quelques personnes déficientes auditives par l'intermédiaire d'un contact personnel de l'APAJH. L'échange effectué par mail présente une qualité forcément inférieure à celle d'un entretien en face à face.

Cathy, 46 ans

Pouvez-vous préciser votre niveau de surdité si cela est possible même approximativement (je ne connais pas bien la surdité) ainsi que vos moyens de communiquer : langue des signes, oralité, langage complété, si vous utilisez plusieurs de ces moyens pouvez-vous les préciser?
J'ai une perte de 80% de l'audition et ma communication quotidienne est la langue des signes et l'oral puisque je suis moi même professeur de LSF (Langue des Signes Française) et dans ma famille je communique oralement. Avec mes enfants je fais les deux, et je porte parfois mon appareil auditif, je n'ai jamais connu le LPC (Langage Parlé Complété) car j'ai 46 ans, à l'époque cela n'existait pas encore.

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre?
J'aime beaucoup le théâtre, malheureusement je n'arrive pas à suivre, puisque j'essaie de lire sur les lèvres des comédiens, ce n'est pas évident et c'est fatiguant aussi.

Vous sentez-vous concernée par ce domaine culturel?
Je me sens très concernée par ce domaine car je trouve que ce n 'est pas la même ambiance que lorsqu'on va au cinéma et surtout après avoir lu un livre ou une pièce de Molière.
Au cinéma je vais voir les films sous titrés, c'est confortable alors qu au théâtre, il n 'y a pas de moyens pour les sourds, mais c est toujours agréable d'aller voir une pièce en vrai.

Quels moyens sont mis à votre disposition pour y accéder?
Pour les moyens au théâtre, avoir les boucles magnétiques, cela ne me sert à rien puisque j'entends que des voix et je ne capte pas. 

Vous-y rendez-vous? Si oui, à quelle fréquence? dans quels lieux ? Quel(s) outil(s) d'accessibilité préférez-vous pour votre type de déficience auditive? 
Par contre j allais souvent au théâtre à IVT (Théâtre International Visuel), à Paris, puisque c’était des comédiens sourds qui jouaient et signaient, un vrai confort.

Quelles perceptions en avez-vous?

Quelles réactions provoque-t-il chez vous?

Quelles attentes avez-vous vis-à-vis du théâtre d'une part et de son accessibilité d'autre part (moyens, nombre de lieux accessibles) ?
Je suis déçue qu'il n y a pas encore de moyens partout au théâtre en France, par exemple un ou des interprètes, présents sur la scène, ou bien un petit écran spécial pour sourds avec des sous-titres.
Je trouve que c'est très dommage que ça n'avance au niveau des moyens pour nous les sourds puisque cela nous permettrait d'avoir une vision beaucoup plus large au niveau de la littérature française, et de la culture française d'antan.

Sylvie, 50 ans, travaille à l'APAJH

Pouvez-vous préciser votre niveau de surdité si cela est possible même approximativement (je ne connais pas bien la surdité) ainsi que vos moyens de communiquer : langue des signes, oralité, langage complété, si vous utilisez plusieurs de ces moyens pouvez-vous les préciser?
Je suis sourde très profonde: je n'entends rien et je pratique la lecture labiale et je n'utilise pas le langage LSF. J'ai appris à parler grâce à la méthode verbo-tonale et à mes parents aussi. On m'a découverte sourde à 15 mois et mes parents se sont battus pour que je parle et que je sois intégrée dans la société. J'ai énormément travaillé pour surmonter mon handicap.

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre?
D'abord, je ne vais pas au théâtre à cause de ma surdité sévère. C'est très difficile de suivre les pièces et aussi " lire sur les lèvres des acteurs" est impossible!

Vous sentez-vous concernée par ce domaine culturel?
Oui, je me sens concernée par ce domaine culturel.
Je vais régulièrement au cinéma voir les films étrangers en version originale ou français avec les sous titres pour les sourds et les malentendants qui sont assez rares.

Quels moyens sont mis à votre disposition pour y accéder?
Je suis allée un fois au théâtre voir la pièce "Le malade Imaginaire" de Molière quand j'étais en 4ème au collège avec mon prof de français, j'ai d'abord lu le livre pour pouvoir y accéder. J'étais très heureuse mais ce n'était pas facile à suivre!

Vous-y rendez-vous? Si oui, à quelle fréquence? dans quels lieux ? Quel(s) outil(s) d'accessibilité préférez-vous pour votre type de déficience auditive?
J'aime beaucoup la culture donc j'aimerais pouvoir aller au théâtre...

Quelles perceptions en avez-vous?

Quelles réactions provoque-t-il chez vous?

Quelles attentes avez-vous vis-à-vis du théâtre d'une part et de son accessibilité d'autre part (moyens, nombre de lieux accessibles)
J'ai entendu dire qu'à aris, il existe un moyen mis à la disposition des sourds et des malentendants pour qu'ils accède au théâtre, il s'agit d'un télé-prompteur (système utilisé lors de notre journée associative APAJH). J'aimerais fort que cela se développe dans les théâtres!!!


Un couple, 51 ans tous les deux

Pouvez-vous préciser votre niveau de surdité si cela est possible même approximativement (je ne connais pas bien la surdité) ainsi que vos moyens de communiquer : langue des signes, oralité, langage complété, si vous utilisez plusieurs de ces moyens pouvez-vous les préciser?
Il s'agit d'une surdité a 100% pour mon mari et à 80% pour moi, nous utilisons donc la lecture sur les lèvres et la langue des signes, la communication auditive étant impossible.

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre?
Nous n'allons jamais au théâtre, ce n'est pas possible pour nous.

Vous sentez-vous concerné par ce domaine culturel?
Et en plus, nous ne sous sentons pas concernés par ce domaine culturel.

Quels moyens sont mis à votre disposition pour y accéder?
Vous-y rendez-vous? Si oui, à quelle fréquence? dans quels lieux ? Quel(s) outil(s) d'accessibilité préférez-vous pour votre type de déficience auditive?

Quelles perceptions en avez-vous?  
Cela n'est pas pour nous mais pour les entendants. Nous en sommes révoltés...

Quelles réactions provoque-t-il chez vous?


Quelles attentes avez-vous vis-à-vis du théâtre d'une part et de son accessibilité d'autre part (moyens, nombre de lieux accessibles) ?


Cristele, 41 ans, mariée, 3 enfants

 

Pouvez-vous préciser votre niveau de surdité si cela est possible même approximativement (je ne connais pas bien la surdité) ainsi que vos moyens de communiquer : langue des signes, oralité, langage complété, si vous utilisez plusieurs de ces moyens pouvez-vous les préciser?
J'ai une perte de 80 % d'audition ce qui veut dire que c'est proche de la surdité profonde. Je porte un appareil de temps en temps dans la vie professionnelle et lors des échanges avec ma famille non entendante -je suis mariée à un homme sourd profond- je communique en langue des signes, je l'utilise quotidiennement et c'est avec cette langue que je me sens à l'aise. Je n'ai jamais utilisé le LPC sauf pour le théâtre que je pratique depuis 6 ans .

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre?
Vous-y rendez-vous? Si oui, à quelle fréquence? quels lieux ? Quel(s) outil(s) d'accessibilité préférez-vous pour votre type de déficience auditive?
Quelles perceptions en avez-vous?
Quelles réactions provoque-t-il chez vous?
Le théatre est une passion qui me permet de m'exprimer sans complexe en langue sourde. Je peux surtout être proche du public signant ou non signant. Comment est-il devenu une passion? Je regardais tout simplement les pièces de théâtre jouées par les entendants à la télé malgré l'absence de sous-titrage. J'ai été fascinée par les comédiens (bon ou mauvais ?) et étant donné que je ne comprenais pas les conversations, je voulais absolument connaitre le déroulement de la scène : j'observais les personnages, leurs habits, les actes, les mouvements du visage et du corps... bien sûr je ressens de la déception et surtout la frustration de ne pas connaître le scénario, de ne pas me familiariser avec l'art théâtral.
Je peux en revanche, depuis maintenant 6 ans, m'impliquer dans le théâtre. Je pratique cette activité en tant qu'amatrice et pour une fois au théâtre c'est une présentation en langue sourde qui permet de montrer la culture sourde et de faire profiter du théâtre au public sourd. Ce sont des personnes qui ont été privées de culture générale étant enfants, et notamment le théâtre qui ne leur était pas accessible (à l'époque, le service interprète n'était pas connu et le sous-titrage inexistant). Même les boucles magnétiques pour les sourds sont inutiles car elles sont incompatibles et ne captent pas les voix et le problème c'est donc qu'il faut encore faire des efforts pour essayer de comprendre, après sa journée, pour lire sur les lèvres d'un interlocuteur. Les sourds ont besoin de souffler et d'un confort, de ne pas faire d'efforts supplémentaires....C'est ce qui explique ma présence dans la pièce de théâtre. Je fais partie d'un groupe qui varie de 3 à 6 personnes.

Vous sentez-vous concernée par ce domaine culturel?
Bien sûr que je me sens concernée par ce domaine culturel, c'est une communication très enrichissante et c'est un lieu d'intérieur ou je me sens épanouie car je peux m'exprimer librement et sans contrainte. Par contre, à l’extérieur , il y a plein d'obstacles qui m'empêchent de m'épanouir et je me sens inférieure dans la société (Les normes française sont trop exigeantes et non compatibles avec la communauté sourde, la culture sourde, l'éducation sourde, etc.).

Quels moyens sont mis à votre disposition pour y accéder?
Pour accéder au domaine culturel proposé par les villes, aucun, ou du moins incompatible car il n'y a pas d'accessibilité en langue sourde pour le public sourd sauf certaines exceptions auxquelles je ne peux accéder que rarement lorsqu'il y a la présence d'un interprète mais le choix n'est pas le mien. On nous dit "ça ou rien " c'est bien dommage car il y a un accès sans limite pour vous les entendants qui allez au théâtre avec vos goûts qui vous y rendez quand vous le souhaitez tandis que nous, non. Il y a une date. Cela peut être une pièce accessible une fois tous les 6 mois ou même pire 1 fois par an... et oui c'est très peu ... C'est comme le cinéma, plein de films nous sont présentés et cela me donne envie de les voir et bien non, pas de sous-titrage alors il faut attendre 6 mois à peu près pour la sortie d'un DVD... Est ce normal de connaitre les histoires tardivement, où est l'égalite entre sourd et entendant ? Bien sûr ce n'est pas la faute aux entendants mais à la société qui nous oublie malgré notre combat interminable...


Quelles attentes avez-vous vis-à-vis du théâtre d'une part et de son accessibilité d'autre part (moyens, nombre de lieux accessibles) ?
C'est bien dommage d'en arriver là, car si on avait l'accès nous aurions une réflexion et un recul plus important vis-à-vis de la société,  de l'art en général...

lundi 14 mai 2012

Enquête exploratoire 2/3 : observation à La Comédie Française

    Après avoir observé la réaction des déficients auditifs face à un théâtre sans adaptation, où ni déficient auditif ni entendant ne se trouvaient, à priori, en situation de handicap, il convenait d'amener l'observation au sein d'un théâtre accessible à la majorité de la population, la population entendante. L'objectif était d'abord de constater une perception puis d'étudier le rapport du déficient auditif à la compensation mise à disposition . Ma démarche a donc été la suivante. J'ai réservé une place pour une représentation où l'accessibilité des déficients auditifs au théâtre était permise. J'ai contacté la personne qui s'occupe de l'accessibilité à La Comédie Française et celle-ci m'a placée près des sièges réservés aux déficients auditifs, proches de la scène. La pièce qui se joue est Une puce, épargnez-la de Naomi Wallace.
(Source: La Comédie Française)

    Ainsi, je me trouve à côté d'un homme âgé venu avec sa compagne. Cet homme est appareillé et pas encore "aileté" selon les propos de sa compagne. Il porte un appareil auditif contour d'oreille et je ne saurais en dire plus (open-fit?). Il semblerait qu'il s'agisse d'une déficience liée à la vieillesse de cet homme. Pour suivre la représentation, le vieil homme bénéficie de deux aides compensatoires : la tablette électronique de visualisation des dialogues et la boucle magnétique.

Tablette électronique de visualisation des dialogues dans un théâtre
(Théâtre national Chaillot – Paris)
(Source: conférence La Ville est un monde de Marc Renard)

    Le rapport du vieil homme à la tablette électronique est assez significatif. "Comment est-ce que cela fonctionne?".  Le vieil homme se trouve plutôt désemparé lors de son premier contact avec l'objet qu'il compare à un Ipad. Sa compagne lui donne quelques conseils en cas de problème, le rebrancher par exemple. Mais la boucle magnétique que possède la femme ne fonctionne pas et elle demande à une placeuse de le changer. La représentation commence et la boucle magnétique du vieil homme ne semble pas fonctionner non plus. Ce dernier, pour l’anecdote, s'est mis à marcher à quatre pattes pour atteindre le côté de la salle et demander une autre tablette pour suivre le reste de la représentation, le retour à sa place s'est fait par le même procédé, un moment très cocasse !

    En revanche, je n'ai pas perçu les effets de la boucle magnétique. Déjà, en voici une définition :
"La boucle magnétique vous permet d'obtenir une grande qualité d'écoute dans certains lieux publiques, tels que les guichets d'informations, les cinémas, les églises, équipés d'un amplificateur de boucle magnétique. Pour cela, il suffit de passer sur la position T de votre appareil.
Le système FM comprend un sabot relié directement à l'aide auditive et un récepteur. Ceci permet d'amener directement le son dans l'aide auditive et d'avoir une meilleure qualité d'écoute pour les personnes présentant une surdité importante." (Source: Laboratoire Thomassin)

La boucle magnétique (Source: Surdi49)


    Ce couple avait quelques amis dans la rangée derrière qui tenaient aussi la tablette électronique entre les mains et n'avaient visiblement pas eu de soucis pour l'utiliser d'après la brève discussion que j'ai pu entendre après la représentation. Il en est ressorti aussi que la boucle magnétique avait produit des grésillements dans l'appareil auditif d'un des spectateurs du groupe.


    C'est donc un bilan mitigé qui se dessine à l'aune de ces observations et qui suscite quelques interrogations :
  • Ces moyens de compensation ne nuisent-ils pas davantage à l'audibilité de l’œuvre théâtrale?
  • Les nouvelles technologies sont-elles accessibles à tous les spectateurs déficients auditifs : âge, niveau socio-culturel...
  • L'accompagnement humain dans la mise en accessibilité matérielle est-il suffisant?

vendredi 27 avril 2012

Enquête exploratoire 1/3 : la technique théâtrale du Virtual Visual


    L'angle du théâtre désormais validé, il convient dans un premier temps de se confronter directement à la relation entre le théâtre et les personnes sourdes et malentendantes. 
Quelle réaction ont les sourds et les malentendants face au théâtre ? 

    Cette question nous amène à cette nouvelle interrogation: quel théâtre ? 
Puisque nous souhaitons observer très simplement un comportement, il s'agit dans un premier temps d'observer un théâtre qui ne soit pas adapté aux personnes sourdes et malentendantes, un théâtre où ni déficient auditif ni entendant ne se trouvent en situation de handicap.


Enquête exploratoire

 

    Je me suis donc rendue à l'International Visual Theatre, à Paris, pour assister à la représentation théâtrale de Simon Attia, professeur de théâtre et comédien, qui a animé un atelier de pratique artistique sur les techniques du « virtual visual ». Créé aux États-Unis dans les années 60, le VV est une technique de narration visuelle qui nécessite une implication corporelle totale de la part du comédien qui la pratique. Il n'est fait aucune utilisation de la langue des signes française ni du langage. Simon Attia, le VV relève de la chorégraphie avec les mains et le corps. "Les thèmes des saynètes ont été choisis à partir de quatre thèmes: une personne, un objet, un déplacement, un animal. L’inspiration provient d'images personnelles de l'esprit (un porte-avion...), parfois de BD. Il s'agit de faire ressortir des images sur des choses simples. Ce n'est ensuite pas un simple geste qui est réalisé mais un focus sur les éléments. Il s'agit d'aller chercher des choses en soi".

 


    Arrivée à l'IVT, je suis confrontée à une vraie difficulté. Face à moi dans le hall du théâtre, les personnes ne communiquent qu'en langue des signes française (LSF) y compris le jeune barman qui semble visiblement malentendant. Comment le savoir ?  A qui m'adresser pour me présenter à la billetterie ? A qui demander des renseignements ? Qui est sourd, qui peut entendre ou lire sur les lèvres ? Je me trouve un moment totalement perdue, isolée. Finalement, les spectateurs commencent à entrer. L'entrée est gratuite mais sur réservation. Notre nom figure donc sur une liste et les placiers sont bilingues (français/LSF). 

    Je m'assoie et commence à observer les spectateurs qui s'installent, quelques entendants sont présents mais c'est surtout une majorité de personnes avec une déficience auditive qui assiste à la représentation.

Souvent, au sein d'un public d'entendants, on entend des bribes de conversation, les attentes de nos voisins au sujet de la représentation qui va se jouer ou la journée qu'ils viennent de vivre... Ici, je suis dans une bulle. Les spectateurs communiquent entre eux, entre différentes rangées, les conversations sont animées, les gestes fusent. L'un des spectateurs laisse échapper des sons gutturaux. Un son monocorde qui revient à chaque expiration et qui est parfois lié à des émotions comme le rire ou l'impatience suscité par un moment de suspense. Les applaudissements des spectateurs sont exprimés par un mouvement des deux mains et par les vibrations liées au frappement de leurs pieds sur le sol.  


Quelle perception du théâtre pour une même accessibilité? 

 

    De la représentation théâtrale, je n'ai saisi que très peu d'éléments. Il était difficile de comprendre le sens des gestes de ces acteurs qui étaient déficients auditifs mais ne pratiquaient pas du tout la langue des signes sur scène. Ils se présentaient donc uniquement comme des acteurs de Virtual Visual. Un débat a suivi la représentation. Avant que le Virtual Visual ne soit expliqué par Simon Attia, lui-même déficient auditif, une spectatrice entendante a ainsi demandé pourquoi il n'y avait pas de traduction pour que les personnes entendantes puissent aussi comprendre. Simon Attia a répondu qu'il s'agissait seulement d'une technique théâtrale qui n'utilisait pas le signe, aussi accessible aux déficients auditifs qu'aux entendants. Le professeur de théâtre a donc demandé a l'assemblée si déficients auditifs et entendants avaient compris les saynètes. Pour certains spectateurs déficients auditifs, c'était le cas, pour d'autres, non. Une réponse semblable chez les entendants, parfois déstabilisés par la fausse idée que les acteurs signaient et qu'il était difficile de distinguer un signe d'un geste de théâtre (ce qui a aussi été mon cas). 

    Et finalement, en théorie, pour une même accessibilité de représentation théâtrale - par la vue- c'est donc une même perception du théâtre pour les spectateurs déficients auditifs et les spectateurs entendants.
En pratique, la compréhension des spectateurs déficients auditifs face au théâtre virtuel visuel a-t-elle été favorisée par rapport à celle des entendants grâce à leur sensibilité à la communication visuelle ? C'est ce que semble confirmer l'un des acteurs " Par rapport au virtual visual, les sourds ont déjà ça en eux mais c'est quelque chose qu'ils n'utilisent pas. Là, on a laissé de côté la langue des signes, pour retrouver ça en nous".